Nan Goldin, photographe et figure de la contre-culture

17 avril 2023

Photographe et artiste visuelle de renommée internationale, Nan Goldin documente depuis le début des années 1970 la vie intime de son cercle d’amis et d’artistes et célèbre les cultures underground trop souvent stigmatisées par la société traditionnelle, à travers des oeuvres phares telles que le diaporama « The Ballad of Sexual Dependency » (1985) ou l’exposition pluridisciplinaire « Witnesses : Against Our Vanishing » (1989). Elle fait régulièrement l’objet de rétrospectives dans les plus grands musées du monde (sont notamment prévus dans les mois à venir Stockholm, Amsterdam, Berlin, Milan…).

Fin 2017, Nan Goldin se lance dans un nouveau combat : l’activisme contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde. Après avoir elle-même survécu au calvaire de l’addiction aux opiacés, elle décide d’utiliser sa notoriété dans le monde de l’art pour tenir tête à ces puissants qui profitent de la souffrance humaine.



La résolution d’agir intervient lorsqu’elle apprend que les distributeurs de naloxone, médicament de référence dans le traitement d’urgence des surdoses d’opioïdes, qui devaient être installés en libre accès dans la ville de Cambridge (Massachusetts), ne verraient finalement jamais le jour.

« Des milliardaires avaient bloqué le projet » explique-t-elle. « C’est ce qui m’a poussée à m’impliquer dans cette lutte ». En compagnie de quelques autres artistes et militants, Nan Goldin fonde le collectif P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now), qui prône la réduction des risques sanitaires et la prévention des overdoses. P.A.I.N. s’attaque à la famille Sackler, qui a tiré des profits considérables de la crise des opiacés qui a déjà causé la mort d’un demi-million d’Américains.

Célèbre pour ses dons généreux à des musées et autres institutions artistiques prestigieuses, la famille Sackler possède Purdue Pharma, le laboratoire pharmaceutique qui commercialise le médicament antidouleur hautement addictif OxyContin et développe un marketing outrancier pour faire s’envoler les ventes malgré les conséquences dévastatrices de l’épidémie qui en résulte. Depuis des années, les démarches légales entreprises contre Purdue Pharma ont eu peu d’effets, en dépit d’une suite d’auditions, de procès et de verdicts prononcés à l’encontre du laboratoire. P.A.I.N. décide donc de les mettre face à leurs responsabilités sans passer par un tribunal.



« Je me suis focalisée sur la famille Sackler, car c’est un nom qui m’était familier. Je pensais qu’il s’agissait d’une famille de généreux mécènes qui soutenaient des artistes que j’aimais » explique Nan Goldin. « Puis j’ai compris à quel point leur argent était sale. J’ai découvert que ce sont eux qui produisaient et vendaient le médicament auquel j’étais devenue dépendante ». En janvier 2018, Nan Goldin publie une tribune au vitriol dans Artforum intitulée « Growing P.A.I.N. », dans laquelle elle explique la création du groupe et la façon dont les Sackler sont parvenus grâce à un savant « artwashing » à utiliser le mécénat artistique pour redorer leur image et se dédouaner de la mort de centaines de milliers de personnes. « Pendant des années, les Sackler ont réussi à séparer leur empire pharmaceutique de leur réputation dans le monde de l’art » explique Nan Goldin. « Nous avons donc cherché à mettre un terme à cette hypocrisie, à montrer qui ils sont vraiment et à relier leur nom à la crise des opiacés dans l’opinion de toutes et tous ».

Goldin et P.A.I.N. organisent alors plusieurs grandes manifestations dans des musées renommés qui ont bénéficié des fonds des Sackler et ont parfois même baptisé des salles d’exposition à leur nom en remerciement de leur générosité. La famille Sackler ne sera jamais jugée, notamment parce qu’elle provoque volontairement la faillite de Purdue Pharma, mais Goldin et P.A.I N. parviennent à lui ôter toute crédibilité et respectabilité dans les cercles de l’art. Désormais, le monde sait qui ils sont et ce qu’ils ont fait. « Le fait que notre action ait eu un impact sur une société multimilliardaire aux États-Unis est ma plus grande fierté » se réjouit Goldin.

Aujourd’hui, P.A.I.N. continue de militer pour que les dommages et intérêts versés par les Sackler et d’autres laboratoires pharmaceutiques soient réinvestis dans des mesures de réduction des risques sanitaires et des centres de prévention des overdoses à travers tout le pays. L’organisation collecte également des fonds pour soutenir les associations de terrain qui travaillent en étroite collaboration avec les communautés touchées par l’épidémie, comme VOCAL-NY ou Housing Works. Elle se bat aussi pour légaliser les sites de consommation à moindre risque, pour réduire la stigmatisation autour de l’addiction et pour repenser la guerre contre la drogue en évitant le tout-carcéral.

Dès l’instant où elle s’est lancée dans l’aventure de P.A.I.N., Nan Goldin a décidé de faire un film pour documenter leurs réunions et leurs actions. Pendant environ un an et demi, P.A.I.N. a donc tourné des images avec l’aide des producteurs exécutifs Clare Carter et Alex Kwartler, des collaborateurs de longue date de Goldin, avant de convier la réalisatrice Laura Poitras (CITIZENFOUR, Oscar du meilleur documentaire en 2015) à se joindre au projet.



Admiratrice de longue date du travail de Nan Goldin, Laura Poitras a tout de suite été séduite : « Dans mes films, je dresse toujours le portrait d’individus qui se battent pour une certaine idée de la justice et de la responsabilité. Nan Goldin était de ceux-là ». À mesure que le projet prend vie, il apparaît que même si P.A.I.N. demeure le thème central, le film est l’occasion rêvée d’explorer les liens entre le militantisme, la vie et l’oeuvre de Nan Goldin. Celle-ci considère que son travail est par essence politiquement subversif, de par la communauté d’amis et de collaborateurs qu’elle a choisis de célébrer et d’immortaliser dans ses photographies et ses diaporamas. Comme elle l’explique dans le film : « On ne parle pas ouvertement des problèmes dans notre société, et cela détruit les gens. Tout mon travail porte sur la stigmatisation sociale, qu’elle concerne le suicide, la maladie mentale ou le genre ».

Pour Nan Goldin, le film se devait absolument d’aborder les parallèles économiques, sociétaux et institutionnels entre la crise du sida et la crise des opiacés. Les crises sociales ne se déroulent pas en vase clos, et montrer la relation entre les communautés souvent stigmatisées dans lesquelles la photographe s’est immergée et les histoires personnelles qui sous-tendent son oeuvre était essentiel pour saisir la véritable ampleur de son travail.

Durant près de deux ans, Laura Poitras rend visite à Nan Goldin à son domicile de Brooklyn, pour une série d’entretiens qui, mêlés aux diaporamas et aux photographies de l’artiste, constituent la colonne vertébrale du documentaire. Les enregistrements sont uniquement sonores, et l’équipe de production veille à ce qu’ils soient exploités avec le plus grand soin. Seul un petit cercle de personnes incluant la réalisatrice et l’équipe de montage y a accès. Nan Goldin a un droit de regard sur le contenu, avant que certains détails personnels ne soient partagés avec davantage de collaborateurs ou inclus dans la version finale du film. Un soin particulier est apporté à la musique du film par Laura et Nan. Cette dernière propose plusieurs des morceaux préexistants entendus dans certaines séquences et suggère que le groupe expérimental newyorkais Soundwalk Collective, qui avait récemment collaboré avec elle sur son oeuvre « Memory Lost », écrive la bande originale. Ce collectif, mené par Stephan Crasneanscki et Simone Merli, est aussi connu pour son travail avec Patti Smith, en compagnie de laquelle ils ont conçu l’exposition « Evidence » pour le centre Pompidou.

Grâce au travail de l’équipe du Nan Goldin Studio et de deux archivistes dévouées, Shanti Avirgan et Olivia Streisand, des images tournées par des tiers sont retrouvées et Laura Poitras parvient à réunir assez de matière première pour que le film puisse nous transporter dans le passé. Elle met notamment en avant une oeuvre majeure de Goldin, « Sisters, Saints, and Sibyls » (2004), une installation sur trois écrans consacrée à sa soeur défunte, Barbara Holly Goldin. Le titre du film vient d’une réponse de Barbara à un test de Rorschach.

En entremêlant le récit de l’enfance de Goldin, ses amitiés profondes au sein d’une communauté d’artistes incarnant l’élan créatif et sa résilience face à l’épidémie de sida, TOUTE LA BEAUTÉ ET LE SANG VERSÉ saisit des instantanés du passé pour dresser le portrait d’une artiste à travers son oeuvre, qui est elle-même le reflet de sa propre vie.

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