Céline Sciamma est l’une des réalisatrices et scénaristes françaises les plus talentueuses d’aujourd’hui. Elle tente, avec ses films, d’offrir un regard féminin original et novateur. Ses thèmes de prédilection sont l’identité, l’adolescence et la sexualité.
JEUNESSE & FORMATION
Céline Sciamma est née le 12 novembre 1978 dans une famille aisée, d’origine italienne. Elle grandit dans une petite ville de la banlieue parisienne. Fervente lectrice dès son plus jeune âge, ce n’est qu’à l’adolescence qu’elle commence à s’intéresser au cinéma. Avant d’entrer à la Fémis (la plus importante école de cinéma en France), ses premières amours lui font donc entreprendre des études de littérature. C’est là qu’elle apprend également à écrire des scénarios.
Sciamma a réalisé son premier long métrage sans aucune expérience dans ce domaine. En effet, si elle avait déjà écrit des courts métrages, elle ne les avait pas elle-même réalisés. Ses premiers films se concentrent sur la jeunesse, toujours avec beaucoup de fraîcheur et de légèreté. Dans son premier film, NAISSANCE DES PIEUVRES (2007) , elle ausculte le moment où le désir prend forme dans l’esprit d’une jeune fille. Le second, TOMBOY (2011), est la tendre chronique d’une petite fille qui se fait passer pour un garçon dans son nouveau voisinage. Dans BANDE DE FILLES (GIRLHOOD) (2014) une jeune fille de 16 ans rejoint un groupe de “bad girls” et s’intègre à la bande pour vivre pleinement son adolescence.
Diplômée de la Fémis en section Scénario, Céline Sciamma « recycle » son projet de fin d’études, soutenu par le réalisateur Xavier Beauvois alors membre du Jury lors de son examen final, pour réaliser son premier long métrage en 2007 : NAISSANCE DES PIEUVRES.
CARRIÈRE
NAISSANCE DES PIEUVRES a été sélectionné dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes. Le film a également obtenu trois nominations aux Césars : Sciamma pour le Meilleur Premier Film et les actrices Adèle Haenel et Louise Blachère, toutes deux nominées pour le Meilleur Espoir Féminin.
Sciamma fait clairement forte impression dès ce premier film. Elle va dès lors développer et affirmer son propre style. Elle va continuer à faire des films sur les filles et les femmes, réussissant à capter ces moments où des changements majeurs apparaissent dans leurs vies.
En 2009, Sciamma réalise son premier court métrage, PAULINE, dans le cadre du programme « 5 films contre l’homophobie » initié par le gouvernement français. Suit alors TOMBOY avec lequel la cinéaste jette un pavé dans la mare en abordant l’identité de genre chez les enfants. Typique de l’univers que Sciamma a créé qui s’ouvre à des thèmes et des personnages qui n’ont pas encore trouvé ou conquis leur place dans la société.
TOMBOY a été projeté dans les écoles françaises dans le cadre d’un programme éducatif. Il a remporté le Prix du Jury aux Teddy Awards du Festival de Berlin (section regroupant les films abordant un thème homosexuel). Le film a également remporté des prix dans de nombreux autres festivals de films Gay & Lesbien.
BANDE DE FILLES a été sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes mais aussi aux festivals de Toronto ou de Sundance. Dans des interviews, Sciamma a affirmé que BANDE DE FILLES serait son dernier film « coming-of-age » (passage à l’âge adulte) et qu’elle le considérait comme faisant partie d’une trilogie, avec NAISSANCE DES PIEUVRES et TOMBOY.
“Evidemment, je ne peux pas raconter une histoire sur ce que c’est que d’être une fille noire mais je peux peut-être raconter autre chose. Le propos de BANDE DE FILLES n’est pas ce que c’est que d’être une fille noire mais ce que c’est que d’être une fille.”
Parallèlement à la réalisation (et à l’écriture) de ses propres films, Sciamma continue d’écrire pour d’autres. A la demande d’André Téchiné, qu’elle admire depuis toujours, elle va co-écrire avec lui le scénario de QUAND ON A 17 ANS (2016). Et va, de fait, écrire encore une histoire de coming-of-age, même si cette fois il s’agit d’un jeune homme homosexuel.
En 2016, Céline Sciamma écrit aussi le scénario du célèbre film d’animation MA VIE DE COURGETTE). Dans ce film à la fois chaleureux et bouleversant, le petit Courgette est placé en institution après la mort de sa maman. Le film a été nominé aux Oscar. Sciamma a co-écrit avec Jacques Audiard LES OLYMPIADES (2021). Un film dans lequel trois filles et un garçon sont amis, ou amoureux, ou les deux.
Si, dans son travail pour d’autres, Sciamma est restée proche du monde de la jeunesse (enfance ou adolescence) avec le projet suivant, elle va emprunter un chemin différent. PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU (2019) est un drame en costumes dans lequel Adèle Haenel joue l’un des rôles principaux. Depuis leur collaboration sur NAISSANCE DES PIEUVRES les deux jeunes femmes sont en couple, une relation révélée publiquement par Haenel dans son discours aux Césars en 2014. Au début du tournage, le couple est séparé mais l’entente entre les deux femmes est demeurée excellente. Cela aboutira à un chef d’oeuvre moderne, comblé de nombreux prix. Le film a été présenté en avant-première au Festival de Cannes et s’y est vu décerné le Prix du Meilleur Scénario et la Queer Palm.
PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU
“ Faire un film d’amour c’est le désir premier. Avec deux envies distinctes : raconter pas à pas ce que c’est que tomber amoureux, le présent et le plaisir pur de ça mais aussi le récit de la résonance d’un amour, de sa survivance en nous, le film comme mémoire de cet amour”.
1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Heloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Mariane va devoir la peindre en secret. L’attraction entre les deux femmes grandit et l’amour s’enflamme.
Sciamma joue avec les conventions cinématographiques et livre un film unique, tentant de capturer le désir à l’écran. Comment survient-il ? Comment grandit-il ?
“Il faut créer des opportunités de nouvelles scènes, de nouvelles images, qui sont aussi des occasions de nouveaux plaisirs. J’ai pensé à la scène du baiser durant des mois. J’avais une liste de différentes possibilités de comment renouveler la chorégraphie d’un baiser. Parce que ce dont on se souvient, c’est comment on s’est rapprochés, comment c’est arrivé et donc le cinéma est là pour inventer de nouvelles images autour de ça, nous créer de nouveaux souvenirs, possiblement un peu de mémoire, même. .J’avais donc cette liste et puis je me suis dit et si on dévoilait une bouche comme on dévoile un regard quand on enlève ses lunettes de soleil ? C’est de là qu’est née l’idée du foulard. Et du foulard ont découlé l’avant et l’après de cette scène. Toujours dans cette idée de “qu’est-ce qu’une scène de premier baiser et comment peut-on avoir à nouveau le sentiment que c’est la première fois pour nous aussi au cinéma de voir ça, comme un vrai premier baiser.”
REGARD FEMININ
Avec PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU Céline Sciamma explore plus que jamais le fameux ‘regard féminin’, une théorie féministe sur le cinéma qui questionne le regard de la spectatrice ou du spectateur porté sur les protagonistes féminins. La contrepartie logique du “regard masculin” qui met l’accent sur le fait que, le plus souvent, nous regardons les films (et les femmes) uniquement à travers le regard d’hommes (hétérosexuels). Si cela fait des décennies que nous sommes habitués à ne regarder que de cette manière, depuis #metoo on le reconnaît enfin plus aisément. Le “regard masculin” n’est pas négatif en lui-même mais des cinéastes comme Sciamma insistent sur le fait que s’il y a un « regard masculin », il doit aussi y avoir un « regard féminin ». Dans lequel elle excelle. Dans PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE on le retrouve sur tous les fronts. Non seulement nous regardons les femmes à travers les yeux d’une femme cinéaste mais les deux femmes qui forment le pivot du film se regardent, s’observent et emportent le spectateur dans le sentiment ainsi inspiré.
“Le film est pensé pour vivre à la fois le plaisir d’une passion au présent mais aussi le souvenir, la mémoire d’une histoire d’amour. Il parle de l’amour au présent, de la naissance du désir mais aussi de ce qui subsiste en nous d’une romance. Il y a deux temporalités qui s’entremêlent et s’influencent l’une l’autre. Il y avait aussi cette envie d’une histoire d’amour avec de l’égalité, qui ne repose pas sur des hiérarchies et des rapports de force et de séduction qui préexistent à la rencontre ».
FEMINISME UNIQUE
“J’espère que c’est un WONDER WOMAN arthouse”! (Céline Sciamma à propos de PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU dans une interview à VPRO). Le travail de Sciamma est très “minimaliste”. Peu de dialogues et une mise en scène hautement stylisée en sont deux éléments frappants. Son travail sur la musique est également à souligner. Chaque film a une bande-son surprenante et innovante, dans laquelle elle collabore régulièrement avec l’artiste Para One. Sur le plan thématique, l’identité de genre et l’identité sexuelle des filles sont les piliers de son travail. Même les femmes adultes de PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU découvrent ensemble qui elles sont et ce qu’elles ressentent. Comme s’il s’agissait de jeunes filles.
“On arrête pas de me dire : “Tu n’aimes pas les garçons !” Et je réponds : “Wow, non, c’est juste que tu n’es pas habitué à ce qu’ils soient objectivés dans les films, alors que les femmes le sont si souvent mais ça, on s’en fout ”.
Céline Sciamma est féministe. Elle a trouvé sa propre façon, unique, d’exprimer ce féminisme dans son travail. Elle a été une des premières à rejoindre le mouvement « 50/50 en 2020 », un collectif de professionnels de l’industrie cinématographique française œuvrant pour l’égalité des femmes et des hommes et la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel. Ce collectif se concentre principalement sur le cinéma français et estime que l’égalité hommes/femmes rétablira de fait une meilleure répartition du pouvoir au sein de l’industrie cinématographique française. Lors de l’avant-première de PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU au Festival de Cannes, Sciamma et Adèle Haenel arboraient toutes deux un badge « 50/50 » en soutien du collectif.
En 2018, au Festival de Cannes, Céline Sciamma a co-organisé une manifestation de femmes contre les inégalités dans l’industrie cinématographique. De nombreuses célébrités féminines ont fait entendre leur voix lors de cette manifestation, parmi lesquelles Agnès Varda, Ava DuVernay, Cate Blanchett et Léa Seydoux.
Lors de la cérémonie des Césars en 2020, Adèle Haenel et Céline Sciamma ont quitté la salle après que Roman Polanski, accusé d’actes sexuels sur une mineure, ait remporté le César du Meilleur Réalisateur.
“Je pense que les films sont politiques. Ceux qui ne sont pas délibérément politiques sont les pires et reflètent la pire politique".
PETITE MAMAN
Le cinquième film de Sciamma était, après TOMBOY le deuxième à être présenté en avant-première au Festival du Film de Berlin (Berlinale), en 2021. Avec PETITE MAMAN Sciamma retourne dans le monde de l’enfance. Le pouvoir de la mémoire et de l’imagination y est exploré de manière unique. Avec même une incursion dans le réalisme magique.
Dans le film, Nelly, 8 ans, vient de perdre sa grand-mère. La maison de Grand-mère doit être vidée. Nelly explore l’endroit où sa mère, Marion, a grandi et construit la cabane dans les arbres dont elle a tant entendu parler. Un jour, sa mère part soudainement. Nelly rencontre alors dans les bois une fille de son âge qui construit une cabane dans les arbres. Elle s’appelle Marion.
Le directeur de la Berlinale, Carlo Chatrian, s’est réjoui que Sciamma accepte d’y présenter le film en avant-première: “PETITE MAMAN n’a pas seulement été réalisé pendant la pandémie, il a pu être réalisé grâce à la pandémie, parce que Sciamma disposait de temps pour se pencher sur un projet plus personnel. C’est un film plus petit mais néanmoins ambitieux, qui donne une voix aux enfants. Evidemment d’un point de vue féminin.
‘PETITE MAMAN est fait pour rester dans votre tête, qu’il puisse vous consoler et vous donner de l’imagination. […] Ce sont les spectateurs les héros de mes films. Je veux laisser de la place pour l’expérience, le voyage émotionnel, pour votre propre histoire’.
Dans ce film, elle poursuit ses recherches sur les différents “regards” qu’un film peut offrir. Nul doute qu’elle continuera ces recherches dans ses prochains films.
Sources utilisées :
Podcasts:
Podcast IndieWire on Céline Sciamma
Trailer van podcastserie 'Podcast of a Lady on Fire'
Cineville podcast aflevering over Céline Sciamma en Portrait
Soundtracks:
PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU
GIRLHOOD
Nelly a huit ans et vient de perdre sa grand-mère. Elle part avec ses parents vider la maison d’enfance de sa mère, Marion. Nelly est heureuse d’explorer cette maison et les bois qui l’entourent où sa mère construisait une cabane. Un matin la tristesse pousse sa mère à partir. C’est là que Nelly rencontre une petite fille dans les bois. Elle construit une cabane, elle a son âge et elle s’appelle Marion. C’est sa petite maman.
1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
Marieme vit ses 16 ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande, pour vivre sa jeunesse.
Laure a 10 ans. Laure est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Michael, un garçon comme les autres… suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse. Laure profite de sa nouvelle identité comme si la fin de l’été n’allait jamais révéler son troublant secret.
L’été quand on a 15 ans. Rien à faire si ce n’est regarder le plafond. Elles sont trois : Marie, Anne, Floriane. Dans le secret des vestiaires leurs destins se croisent et le désir surgit. Si les premières fois sont inoubliables c’est parce qu’elles n’ont pas de lois.