Asghar Farhadi

Asghar Farhadi

Asghar Farhadi est l'un des cinéastes les plus importants, sinon le plus important, du cinéma iranien. Il tend un miroir à la société iranienne, et fait en sorte que le monde entier regarde. Cela lui a valu un grand succès ainsi que deux Oscars.

JEUNESSE & RÉVOLUTION


Asghar Farhadi est né le 7 mai 1972 en Iran, dans la ville de Homayoun Shahr (devenue Khomeini Shahr), à quelques centaines de kilomètres au sud de Téhéran. Le pays était dirigé par le shah, qui était pro-occidental, mais gouvernait le pays de manière dictatoriale. En 1979, le mécontentement à l'égard du régime du shah a atteint un point critique. Une large coalition composée, entre autres, de religieux et d'étudiants a renversé le shah et la révolution iranienne est devenue un fait.
Les conséquences pour le pays ont été considérables. Le parti politique le plus puissant était celui du clergé. Son chef, l'ayatollah Khomeini, est arrivé au pouvoir et a transformé le pays en une république islamique conservatrice. La dictature du shah a fait place à une dictature religieuse répressive basée sur la loi islamique, la charia.
Farhadi est toujours resté en Iran, alors que beaucoup de ses collègues sont partis ou ont été interdits de pratiquer leur métier. « Mon âme appartient à l'Iran, surtout compte tenu du travail que je fais et du lien émotionnel que j’entretiens avec mon pays. Malgré tous les problèmes que connaît l’Iran, c'est la raison pour laquelle je reste. »

ÉDUCATION
Pendant la petite enfance de Farhadi, l'Iran était un pays répressif mais moderne et séculier. C'est durant son adolescence, donc après la révolution, qu'est né son intérêt pour le cinéma. Il a rejoint un collectif de jeunes et a réalisé cinq courts métrages avant d’entrer à l'université à Téhéran.
Farhadi a étudié le théâtre et l'art dramatique à l'université de Téhéran et la mise en scène à l'université Tarbiat Modares. Au cours de ces années, il a réalisé un certain nombre de courts métrages et deux séries télévisées pour la société nationale de radiotélévision iranienne. La combinaison entre théâtre et cinéma s'est avérée très inspirante. Cette combinaison reviendra plus tard dans THE SALESMAN (LE CLIENT), dans lequel la pièce de théâtre qui a donné son nom au film (« Death of a Salesman » d'Arthur Miller) devient presque un personnage à part entière.
« Au théâtre, j'ai appris comment travailler avec des acteurs. Pour donner un exemple : dans le film A SEPARATION (UNE SÉPARATION), il y a un personnage qui doit représenter une femme religieuse. Dans les mois précédant le tournage, l'actrice qui devait jouer le personnage est en fait devenue cette personne religieuse. Je lui ai demandé de prier rigoureusement chaque jour, c'est-à-dire cinq fois par jour. Je lui ai demandé de porter un tchador, le long voile traditionnel. Je lui ai demandé de ne pas utiliser sa voiture et de limiter ses contacts avec des hommes inconnus. Après un certain temps, elle a réellement commencé à se comporter comme une personne religieuse. N'ayez pas peur... dès que le film a été terminé, elle est redevenue qui elle était ! »

UN STYLE UNIQUE


Farhadi aborde des thèmes tels que la classe sociale, le genre et la religion dans l'Iran contemporain. Il est remarquable qu'il y parvienne en tournant en Iran, malgré la censure. Il arrive à exprimer son engagement social, sans que les autorités n'interviennent.
« Je pense qu'il est important de parler des questions complexes qui affectent nos vies. Je pense que c'est une insulte au public que de lui faire regarder un film pour ensuite lui délivrer un message qui tient en une seule phrase. »
Farhadi a commencé sa carrière de cinéaste en tant que (co-)scénariste de LOW HEIGHTS (LA BASSE ALTITUDE) en 2002. Le premier long métrage qu'il a également réalisé, DANCING IN THE DUST (DANSE DANS LA POUSSIÈRE), date d'un an plus tard. Sa percée internationale a suivi avec son quatrième film en tant que réalisateur : ABOUT ELLY (À PROPOS D’ELLY) en 2009. Le film a remporté, entre autres, l'Ours d'Argent au Festival du film de Berlin.
Dans ses films, Farhadi montre un Iran marqué par une société de classes profondément ancrée qui a persisté aussi bien dans l'Iran pré- que postrévolutionnaire. Il filme les contradictions de la vie quotidienne dans l'Iran contemporain. Il y met l’accent sur la façon dont les différentes perspectives sont liées aux structures sociales telles que la classe, la religion et le genre. Ces films critiquent la division de la société, mais se distinguent par la subtilité de leur approche.
« La tragédie classique est une lutte entre le bien et le mal. Nous voulions que le mal soit vaincu et que le bien triomphe. Mais le combat dans une tragédie moderne est entre le bien et le bien. Peu importe le camp qui gagne, ça nous brise le cœur. »
Farhadi n'a jamais rejeté l'Iran ; la plupart de ses films sont profondément enracinés dans la réalité urbaine iranienne. Il a toujours persisté à dire son attachement à son pays. Notamment quand il a remporté ses Oscars : lorsqu'il a reçu l'Oscar pour UNE SÉPARATION, il l'a dédié à la nation iranienne. Lorsque THE SALESMAN a gagné quelques années plus tard, il a refusé d'assister à la cérémonie en signe de protestation contre la politique américaine de l'époque.

CENSURE


La censure est un grand problème en Iran. « Chaque réalisateur trouve sa propre manière de s’en accommoder. On prétend que les restrictions conduisent à une plus grande créativité. Je crois que c'est vrai à court terme, mais à plus long terme, elles la détruisent. » C’est la raison pour laquelle certains des collègues de Farhadi vivent en exil.
En 2010, son ami proche, Jafar Panahi, a été accusé de propagande antigouvernementale. Les films de Panahi sur les Iraniens marginalisés ont souvent été présentés lors des grands festivals internationaux. Cependant, ils étaient depuis longtemps une épine dans le pied du régime et Panahi a été condamné à six ans de prison, à une interdiction de pratiquer son métier pendant 20 ans et à une interdiction de quitter le pays. La peine de prison n'a toutefois pas été exécutée et, depuis lors, Panahi réalise des films underground qui sont projetés en Occident.
Les expériences de ses collègues soulignent la position particulière de Farhadi dans son pays. Son grand succès, tant au niveau national qu'international, et la liberté qu’il a de faire des films sont exceptionnels. « Je crois que l'art, confronté à la censure, est comme de l'eau sur la surface d'une pierre. L'eau trouve un moyen de s'écouler au-delà de la pierre. » Une formulation intrigante de sa vision du travail en Iran, que Farhadi a donnée lors d’une interview avec le New York Times. Ses films trouvent ce chemin au-delà de la pierre.

PREMIER OSCAR


Farhadi a remporté son premier Oscar (celui du meilleur film étranger) pour UNE SÉPARATION en 2011. C'était la première fois qu'un film iranien recevait cette récompense. Le film nous fait découvrir un couple marié qui se sépare. Les deux partenaires plaident leur cause devant un tribunal islamique de divorce. Les forces conservatrices iraniennes ont régulièrement accusé Farhadi de cibler un public occidental en dressant un portrait négatif de son pays natal. C'est ignorer les nuances qu'il apporte à ses histoires et personnages. Il fait confiance à son public, national et international, pour saisir les significations sous-jacentes.
Le grand succès international d’UNE SÉPARATION n'a pas été apprécié par tout le monde. Le discours de Farhadi aux Oscars, dans lequel il a proclamé un message pacifique à un moment où les conditions politiques de son pays d'origine étaient tendues, a fait de lui un héros pour de nombreux Iraniens. En revanche, une cérémonie qui devait être organisée par des réalisateurs et producteurs iraniens a été empêchée par le ministère.
Discours aux Oscars : « En ce moment, de nombreux Iraniens nous regardent dans le monde entier. J'imagine qu'ils sont heureux. Ils sont heureux non seulement pour ce prix important, ou pour un film ou un cinéaste, mais également parce que dans un temps de discours de guerre, d'intimidation et d'agression de la part des politiciens, le nom de leur pays, l'Iran, est mentionné pour sa culture glorieuse ; une culture riche et ancienne qui était dissimulée sous une épaisse couche de poussière politique. »
UNE SÉPARATION a été un succès art et essai. un succès art et d’essai. Un an plus tard, Farhadi a été désigné par le Time Magazine comme l'une des 100 personnes les plus influentes au monde. Le critique de cinéma Roger Ebert s'est fait l'avocat du film : « Le scénariste et réalisateur Asghar Farhadi raconte son histoire avec sincérité et équilibre. Son seul objectif semble être d'exprimer son empathie. UNE SÉPARATION dresse un portrait utile de l'Iran contemporain. Le film nous livre une image nuancée du pays et les personnages essaient de faire le bien. Ce qui est intriguant dans le scénario, c'est que nous nous sentons intensément impliqués, mais qu'on ne nous dit jamais qui serait bon ou mauvais. »

DEUXIÈME OSCAR ET PROTESTATION


Deux ans après UNE SÉPARATION (2011), Farhadi réalisa sa première production internationale ; LE PASSÉ avec Bérénice Bejo. Dans ce film, le personnage principal iranien quitte sa femme et ses enfants français. Le film a concouru pour la Palme d'Or à Cannes.
Pour THE SALESMAN (2016), Farhadi est complètement revenu à la vie en Iran. Ce qui lui vaudra son deuxième oscar pour le meilleur film étranger.
Au Festival de Cannes, le film a reçu les prix du meilleur acteur et du meilleur scénario. Ce dernier a bien sûr été écrit par Farhadi lui-même.
Lorsque THE SALESMAN a remporté un Oscar début 2017, Farhadi n’était pas présent « par respect envers les personnes de mon pays et des six autres pays qui sont traités de manière irrespectueuse par la loi inhumaine qui leur refuse l'entrée aux États-Unis. »
Lorsque le président Trump, qui venait d’être élu, a émis l'interdiction d'entrée pour les personnes originaires de (certains) pays islamiques, Farhadi a immédiatement fait savoir qu'il n'assisterait pas à la cérémonie. Il s'est fait représenter par deux éminents Iraniens américains. Quelques heures avant le début de la cérémonie, Farhadi s'est adressé à un groupe de manifestants à Londres par vidéoconférence. Le maire de Londres, Sadiq Khan, a fait projeter la vidéo à Trafalgar Square. Farhadi a réussi à faire une déclaration puissante contre Trump et sa politique. Son boycott a été largement couvert par les médias.
Lors de la remise des Oscars, Farhadi a demandé à Anousheh Ansari (femme d'affaires irano-américaine à succès et première femme à avoir effectué un voyage touristique dans l'espace) de lire une déclaration : « Je suis désolé de ne pas être avec vous ce soir. Diviser le monde entre nous et nos ennemis génère de la peur, une justification insidieuse de l'agression et des guerres. Ces guerres freinent la démocratie et les droits de l'Homme dans des pays qui sont eux-mêmes victimes d'agressions. Les cinéastes peuvent se servir de leurs caméras pour capter les valeurs humaines communes et briser les stéréotypes liés aux nationalités et aux religions. Ils créent de l'empathie entre nous-mêmes et l'autre, une empathie dont nous avons besoin aujourd'hui plus que jamais. »
Avant la cérémonie, tous les réalisateurs nominés pour le prix du meilleur film étranger avaient publié une déclaration condamnant le climat de fanatisme et de nationalisme aux États-Unis. Outre Farhadi, il s'agissait de Maren Ade (TONI ERDMANN), Hannes Holm (A MAN CALLED OVE), Martin Zandvliet (LAND OF MINE) et Bentley Dean et Martin Butler (TANNA). Quel que soit le film qui l'emporterait, l'Oscar serait dédié à « toutes les personnes, artistes, journalistes et militants qui œuvrent à renforcer l'unité et la compréhension et à défendre la liberté d'expression et la dignité humaine, des valeurs qui doivent être protégées aujourd'hui plus que jamais. »
La télévision d'État iranienne étant fortement censurée, la cérémonie des Oscars n'a pas été diffusée. La victoire de Farhadi a pourtant également eu un impact en Iran même. Un certain nombre de cinéastes et d'acteurs ont écrit une lettre ouverte à un juge suprême pour dénoncer la censure croissante dans leur pays et la discrimination et la répression envers les cinéastes indépendants.
Pour avoir accès à des programmes étrangers, de nombreux Iraniens disposent d'une parabole. Au moment où la diffusion des Oscars a commencé, la parabole des Farhadi a cessé de fonctionner. Un technicien n'a pas pu résoudre le problème. Finalement, un ami à l'autre bout de la ville a réussi à utiliser un VPN pour pouvoir diffuser l’émission sur l'ordinateur portable de Farhadi. Juste à temps pour voir Shirley MacLaine et Charlize Theron annoncer l'Oscar pour THE SALESMAN !

DE L’IRAN VERS D’AUTRES CULTURES


En 2018, Farhadi réalise TODOS LO SABEN, son premier film dans et sur une autre culture. Le film se déroule en Espagne, avec Javier Bardem et Penélope Cruz dans les rôles principaux. Avec plus de 47.000 visiteurs en Belgique, c’est un grand succès. La projection du film en Iran allait être très problématique. Les vêtements, les boissons et les danses montrent à quel point Farhadi a réalisé ce film loin de chez lui.
Avec le succès de TODOS LO SABEN, la question de savoir s'il allait réaliser d'autres films en dehors de l'Iran s'est naturellement posée à Farhadi. « Cela dépendra des histoires qui me parviennent. Je ne vais pas décider de faire un film dans un pays particulier et ensuite partir à la recherche d'une histoire ; j'attends que l'histoire me dise clairement où aller. »
Farhadi est connu pour entremêler les défis moraux de la vie dans son pays natal, avec les drames personnels de ses films. Pourtant, le pas qu’il a accompli en Espagne n'a pas été aussi important qu'il le pensait, selon Het Parool. « Plus je suis resté en Espagne, plus j'ai vu que la culture espagnole est très proche de la culture iranienne. Cela vaut certainement sur le plan des émotions, mais aussi par exemple pour le rôle de la religion, même s'il s'agit d'une religion différente. Je pouvais facilement m'y identifier, car la religion en Iran fait toujours partie de votre vie, que vous soyez religieux ou non. »
Farhadi a connecté l’Iran avec le monde. Le monde regarde et s’est connecté à Farhadi. Avec deux Oscars et d'innombrables autres prix, Farhadi est devenu un réalisateur incontournable dans le cinéma mondial.

Sources consultées :
Wikipedia, IMDB, The Famous People, Het Parool, De Volkskrant, New York Times

Films de Asghar Farhadi

Un Héros

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